Jean Hélion
Oeuvres disponibles:
« Concerto pour les toits » – 1962
« Le Dernier Acte » – 1982
Jean Hélion, de son vrai nom « Jean Bichier », est un peintre français complexe, passé, cas peu fréquent, de l’art abstrait parfois proche de Mondrian (Tension, musée André Malraux, Le Havre) au figuratif. Il est né le 21 avril 1904 à Couterne et mort le 27 octobre 1987 à Paris.
Il a contribué à l’introduction de l’art abstrait aux États-Unis.
En 1927 Hélion s’installe dans un atelier de Montmartre et se consacre entièrement à la peinture. Comme d’autres artistes, Dubuffet par exemple, il est aussi attiré par l’écriture, en particulier la poésie à laquelle il s’exerce dès 1921, après avoir lu Rimbaud, Jules Laforgue et Tristan Corbière. « Les mots coulaient facilement de ma bouche et s’accrochaient aux choses et aux sentiments également. Déjà je bredouillais des poésies, des phrases dont les bouts rimaient voluptueusement. » (Jean Hélion, A perte de vue, Paris, IMEC Editions, 1996.) Cet amour de la langue ne le quittera jamais, et ses écrits, même sous la forme de Carnets, de Mémoires et deJournal, ont toujours la tournure juste pour rendre au plus près les événements, les sensations, la vie. Plus tard (en 1947) il appellera ses tableaux des « phrases visuelles », et réalisera des toiles qui se lisent de gauche à droite, comme des poèmes. Mais c’est néanmoins la peinture qui aura le dessus, et comme il le relate dans son Journal, la vue au Louvre du Poussin et de Philippe de Champaigne fera sur lui un effet extraordinaire. « Je suis sorti du Louvre transformé. »
Toujours en 1927, il découvre l’art moderne et, après son déménagement à Montparnasse, il est marqué par Léger et par la peinture intellectuelle et mathématique de Mondrian et de Pevsner. Il conçoit, à l’époque, la peinture comme un art non représentatif, un art abstrait pur, comparable en cela à la musique et à l’architecture. Dans le premier et le seul numéro de la revue Art concret, qu’il publie en avril 1930, il défend un art universel qui échapperait aux personnalités comme aux époques. Cet art, écrit-il, qui « appartient au domaine des certitudes constantes, est contrôlable par la logique. […] Les mathématiques concrétisent des certitudes constantes avec des formules ; la peinture le fait avec des couleurs. Donc mathématiques et peinture ont des relations essentielles. » Hélion se lance alors dans une abstraction géométrique proche du néoplasticisme de Mondrian.Hélion met en œuvre toutes les possibilités et combinaisons que peuvent produire entre elles des formes exclusivement géométriques. Ainsi, aux Compositions succèderont les Tensions, qui naissent du rapport entre courbes et droites et de leur dynamisme. En 1933, son abstraction devient plus complexe et abandonne la rigidité géométrique et mathématique pour s’intéresser à la biologie et aux formes organiques. Aux formes définies succèderont les formes en devenir.
La série des Equilibres exprime ce passage. Des formes ou des mouvements plus souples se mettent alors en place, ses barres deviennent des éléments réagissant et se prêtant à un balancement induit par des courbes qui se plient comme des tiges. Hélion s’approche de Miró, du biomorphisme de Arp et de Calder qui rêvait de mettre en mouvement ses formes. « L’universel, le général, le permanent, ne signifient rien de bien clair. N’en parlons plus pour quelque temps » (Jean Hélion, Abstraction-Création, n°2, 1933), s’exclame-t-il à la même époque, se tournant résolument du côté de la vie.
Le commencement du grand conflit mondial interrompt cette figuration naissante. Hélion quitte New York pour être mobilisé en janvier 1940. « Le moindre village où nous manœuvrions me paraissait sublime, les maisons étaient des volumes parfaits, les gens qui circulaient dans les rues faisaient des gestes, des jambages,
d’une complexité inouïe et très simple. J’admirais les fissures, les plissements des volets, les craquelures et, derrière les maisons, les gestes éperdus des arbres […] » (Jean Hélion, A perte de vue, op. cit.) Cette sensibilité au réel reviendra dans sa peinture, elle aussi empreinte de gestes simples, comme celui de lire un journal, d’allumer une cigarette, de poser dans l’encadrement d’une fenêtre, dans des espaces souvent géométriques. En 1942, Hélion, qui avait été fait prisonnier par les Allemands, s’évade, rejoint Paris et s’y cache avec l’aide d’une amie. Il traverse la France et arrive à Marseille. Il dessine dans des carnets et définit ces dessins comme des « tentatives de renouer avec le monde, libéré du Stalag d’abord et de l’abstraction ensuite. » (Ibid.) Après la guerre et son bouleversement, Hélion ne peut plus se remettre à l’abstraction.
Avec la peinture figurative, ce sont les genres les plus classiques qu’Hélion revisite de façon toujours singulière. Les nus et les natures mortes vont envahir son atelier. « Je me suis prouvé en dessinant d’après nature que je pouvais le faire comme un autre ; mais jamais ce que j’ai produit ne m’a paru vrai comme ces choses qui sortent de ma tête et de mon cœur. Je crois qu’à présent je ne cesserai pas de dessiner d’après nature, mais toujours en vue de ce que j’ai conçu. », écrit-il en 1939. (Lettre inédite de Jean Hélion à P.-G. Bruguière, R.B., 26 mai 1939). Cette tension entre une vision intérieure, une vision qui est pensée et verbe, et le rapport au réel est ce qui confère à ces œuvres une empreinte particulière.
La peinture de nu, sujet battu depuis des siècles, mais qui lui paraît à peine effleuré, va l’occuper tout particulièrement. En 1946, il se lance avec enthousiasme dans une série de nus accoudés, et l’été à Cagnes- sur-mer, il peint des nus tout en dessinant d’après sa femme. « Je commence à force de dessiner Pegeen, et de penser, à savoir ce qu’est un nu et d’y trouver de quoi satisfaire mon imagination. » Le programme est donné et l’artiste s’y tiendra toute une vie : observer et penser, épuiser l’imaginaire tout en gardant la référence au réel.Au début des années cinquante, Hélion, de plus en plus intéressé par les maîtres anciens – Ingres, David, Rembrandt, Raphaël, les Espagnols et Caravage -, se mesure de plus près au thème du nu à l’atelier avec un clin d’œil évident à Ingres dans le titre du tableau. « Qu’ai-je en vue ? Egaler les plus grands maîtres de tous les temps. Que vais-je peindre, tout simplement la vie de mon temps », se proposait « tout simplement » l’artiste à l’époque !
Hélion est un peintre qui affectionne la narration. Il construit ses tableaux, surtout les plus complexes, comme une phrase qui se déploie dans l’espace, articulant des scènes d’intérieur et d’extérieur qui coexistent singulièrement et jouent sur l’ambiguïté de l’image picturale. Comme tous les peintres qui affectionnent la narration en peinture, Hélion fait de l’espace de la représentation une scène à plusieurs temps. Que l’on pense à un exemple des plus illustres et plus anciens dans le genre, Masaccio, que l’artiste aimait ! Déjà en 1430, dans son célèbre Tribut (Florence, Eglise du Carmine, Chapelle Brancacci), celui-ci réunit trois temps de la narration évangélique en faisant coïncider mesures de temps et mesures de l’espace. Mais le peintre florentin, pour créer la simultanéité, met le premier temps au centre, le troisième à droite et le deuxième à gauche, tandis que les tableaux d’Hélion, souvent articulés en trois parties, se lisent comme l’écriture, de gauche à droite.
Au lieu strict du fait pictural se substitue la scène, plus ample, impliquant plusieurs espaces, parfois contradictoires, où le dedans et le dehors, la ville et l’atelier coexistent. L’imagination est aussitôt sollicitée
par la vue, car le tableau « dit » mais autrement qu’une phrase, sans affirmer textuellement, suggérant toujours. Hélion joue de cette ambiguïté de l’image picturale attirée par les mouvements de l’écriture et déployant néanmoins les pouvoirs de la peinture. Le lexique de ses grandes compositions à venir est déjà partiellement en place : l’homme, la femme, une figure dans la rue. L’espace s’articule en trois temps. A gauche, la figure du cycliste sur une ligne oblique évoque la perspective et la profondeur d’une rue. Au centre, dans l’embrasure d’une porte, un homme en costume et chapeau, parapluie et cigarette à la main, descend une marche. A la fenêtre, une femme nous fait face. Au sol, une allumette éteinte contraste avec une feuille verte de vie.
Le tableau se lit dans un système binaire d’oppositions. En effet les figures, solidement bâties en volumes schématiques, ont leurs attributs sémantiques qui les opposent : l’homme au parapluie et à la cigarette sort, la femme reste et tient une plante symbole de vie, tandis que le cycliste s’abîme dans sa fonction de faire tourner les cercles des roues et avec elles l’espace. Ces alternances d’attitudes opposées évoquent ce que Michel Tournier a remarqué au sujet de l’art d’Hélion et qui lui semble caractériser son oeuvre : un mouvement de « systole et diastole, implosion et explosion ».
La solitude des personnages est palpable. Ils sont comme des monades appartenant à des mondes radicalement différents et pourtant réunis dans la même scène. La couleur se limite aux seules variations du bleu et des gris, et le réel est comme décanté par le filtre du monochrome qui ajoute de la rigueur à la géométrie des personnages. Condensé comme une « phrase visuelle » qui pourrait se développer en un texte, le tableau nous invite à continuer, mais dans un autre espace, l’histoire.
Hélion consacre d’importantes peintures à de curieuses natures mortes qui, insidieusement, nous interpellent non pas en tant qu’œuvres autonomes, mais comme des parties d’un tout dont elles se seraient provisoirement échappées. Suggérant d’autres espaces, enclenchant des histoires, elles ouvrent la place à la dimension de l’imaginaire qui complète ce que l’œuvre suggère. Si les mêmes figures reviennent à plusieurs reprises dans l’œuvre d’Hélion, il en va de même pour les natures mortes, autre genre canonique qui, avec les nus, peuple, dès ses débuts dans la figuration, son atelier. Ainsi telle nature morte, qui a pu être à elle seule le sujet d’un tableau, revient, comme un détail, dans une composition plus vaste, provoquant un curieux effet de déjà vu, de retour du même, qui n’est jamais un retour au même. Son œuvre se donne à voir comme un tissu d’échos et de renvois, de retours et de citations.
Mais, même quand elles constituent à elles seules le tableau, ces natures mortes apparaissent comme des détails, parties d’un ensemble dont on ne connaîtra jamais le tout et auquel elles renvoient en tiraillant le regard du spectateur, son désir d’en voir et d’en savoir plus. Plus que des natures mortes immobiles pour l’éternité, elles semblent des fragments d’une scène momentanée et éphémère, et leur assemblage, occasionnel et fortuit. L’essence de la nature morte en est ébranlée. Au printemps 1948, Hélion entreprend une série de natures mortes. Des objets qui lui étaient familiers reviennent, comme la table ou le parapluie déjà peints en 1939. Le pain, objet surdéterminé de sens chez Hélion, vient habiter aussi ses natures mortes. « Je sais à présent déchiffrer les objets, écrit-il dans ses Carnets. Je connais et peux exprimer leur vie propre .»
Un autre objet de son passé revient en force en avril 1948, la citrouille. « A présent tout le sens charnel, la lourdeur éclatante de ce légume vulgaire et de pauvre m’éblouit. » Ce fruit lui apparaît, avec le hareng saur, « ce qu’il y a de plus resplendissant dans les cuisines ». Le problème plastique d’Hélion était à l’époque celui de « loger la couleur dans les volumes », comme il le note dans ses Carnets, et ce légume généreux s’y prête à merveille. « Ce fruit d’or, ce fruit couchant, cette caverne d’Ali Baba dès qu’on l’a éventré », note encore l’artiste en 1952, hantera toute son œuvre. Hélion, très proche de Ponge dans le rendu de l’objet dont il défait l’enveloppe sensible pour mettre à nu son être profond et caché, s’attaque à ce légume, l’habitant de l’intérieur, peignant et évoquant dans ses écrits, au-delà de sa beauté extérieure, « des cavernes de stalactites dans son ventre filandreux. » Ces remarques qu’Hélion écrit le 12 novembre 1947, au sujet du dessin, s’appliquent aussi à sa peinture : « Imaginer, tant qu’on voudra, mais toujours dans le sens de la réalité, pour la comprendre, la continuer même… Dessiner est une opération des yeux en mouvement, qui tournent autour des choses, et savent l’envers quand ils voient l’endroit. Dessiner n’est pas voir autant que montrer. C’est révéler. Révéler quoi ? Ce qui est, ce qu’on sait qui est et tout ce que cela fait naître en moi. »
Oeuvres dans les musées:
En France:
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Paris
Musée Départemental de l’Oise, Beauvais
Musée d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
Musée de l’Abbaye de Sainte-Croix, Les sables d’Olonne Musée Cantini, Marseille
Musée Ingres, Montauban
Fonds National d’Art Contemporain, ParisMusée d’Art Moderne de Grenoble, Grenoble
Musée Malraux, Le Havre
Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, Strasbourg
MACVAL, Ivry sur Seine
Musée d’Unterlinden, Colmar
Musée de la fondation Zervos, Vezelay
Musée d’Art Moderne, Saint-Étienne
Fonds Régional d’Art Contemporain d’Auvergne, Clermont-Ferrand Fonds Régional d’Art Contemporain de Basse-Normandie, Caen Fonds régional d’Art Contemporain de Bretagne, Rennes
Fonds Régional d’Art Contemporain de Picardie, Amiens
Fonds Régional d’Art Contemporain de Poitou-Charentes, Angoulême Institut mémoire des Éditions Contemporaines (IMEC)
Fondation BNP-PARIBAS
À l’étranger :
The Allbright Knox Gallery, Buffalo N.Y., États-Unis
The Art Institute of Chicago, Chicago, Illinois, États-Unis
Denver Art Museum, Denver, Colorado, États-Unis
Deutsches Brot Museum, Ulm, Allemagne
The Federal Reserve Board Collection, Washington, DC, États-Unis
Flow-Chart Foundation, Hudson, NY, États-Unis
Fondation Basile et Elisa Goulandris, Musée d’Art Cont