Serge Vandercam
Serge Vandercam, né le 30 mars 1924 à Copenhague et mort le 10 mars 2005 à Wavre, est un photographe, peintre et sculpteur belge. Il apparaît à de nombreuses reprises dans le panorama de la recherche informelle de l’immédiat après-guerre. Tant dans l’affirmation internationale, que dans la volonté de promouvoir une nouvelle scène artistique belge. Multiple, son œuvre s’affranchit par la libération du geste, la recherche expérimentale. Initié à la photographie depuis 1942, il déconstruit la réalité. Par l’image, il passe de la figuration au rêve. De la contemplation à l’expression individuelle. Au lendemain de la guerre il s’investit dans la photographie subjective, éveille sa curiosité. L’homme capte les courbes agressives, les lignes dictatrices et les paysages déserts. Il constate et se crée un regard accentué de poésie. Loin des théories et des apparences concrètes, Vandercam se reconnaît dans le discours de Cobra : « Mes premières vraies émotions artistiques à l’âge adulte ont été le surréalisme et cobra. Cobra c’est la non-spécialisation ». Introduit par Christian Dotremont, le numéro sept de la revue éponyme consacre son adhésion au groupe en publiant une de ses photographies : L’escalier. Son œuvre renverse les pratiques conventionnelles et s’associe aux actions surréalistes.
Serge Vandercam se lie d’amitié avec Christian Dotremont. Ensemble, ils réalisent au fil des années une kyrielle de projets placés sous le signe de la transformation du langage poétique. Ils se rapprochent de la nature et développent des œuvres chargées d’onirisme matiériste. L’artiste plonge au cœur de la recherche, il passe de la constatation à l’expérimentation. Il triture le matériau photographique, couvre le négatif d’encre de chine, incise et détourne ses épreuves dans un élan spontané. Vandercam développe sa vision du monde, c’est la période des Photogrammes. En 1950, Christian Dotremont organise l’exposition Les développements de l’œil. A propos des photographies de Raoul Ubac, Roland d’Ursel et Serge Vandercam à la galerie Saint Laurent à Bruxelles.
L’année 1952 fait figure de passage lorsque Roger Van Gindertael, directeur de la revue Art d’Aujourd’hui, lui confie la réalisation d’une galerie de portraits d’artistes contemporains en vue d’illustrer l’ouvrage Témoignage pour l’art abstrait. Au contact de ces peintres, le photographe affirme son envie de franchir les frontières artistiques. Du regard organique aux procédés matiéristes, il se définit au cœur d’une abstraction libre. Pendant deux années, il travaille sa pratique picturale et se cherche à travers la répétition du mouvement.
Au lendemain de l’aventure Taptoe (1955-1956), Vandercam s’inscrit dans le sillage d’un rapprochement avec l’écriture. Il s’associe à de nombreux écrivains mais aussi à des poètes avec qui il réalise ses premières peinture-mots.Qui se décagent à pas de souffle poursuit la tradition des collaborations artistiques prônées par Cobra quelques années plus tôt. L’artiste évolue au milieu d’une avant-garde littéraire où la collaboration est de mise. Joseph Noiret, Théodore Koenig, Hugo Claus, Jean Dypréau, Christian Dotremont, Marcel Broodthaers, Marcel Lecomte, ou encore Gabriel et Marcel Piqueray sont du nombre. Amis, ils se retrouvent autour de revues artistiques comme Phantomas ou par la suite Plus.
En 1956, l’artiste remporte le Prix de la Jeune Peinture Belge. Inspiré par son esprit de révolte, il reprend la catastrophe minière de Marcinelle et pousse un cri sur la toile. La colère devient expression et se confirme à travers le geste.Composition rouge lui vaut une première reconnaissance. A la suite de cette récompense, Vandercam exprime son besoin d’extraterritorialité. L’artiste ne se reconnaît plus dans l’avant-garde belge et l’échec de Taptoe ainsi que sa notoriété croissante seront synonymes de rupture.
L’année suivante, le journaliste André Falck lui commande un film portant sur la Turquie. Destiné à l’émissionExploration du monde, ce film lui permet de renouer avec ses racines. Un retour aux sources, aux images premières de la nature. Accompagné de Reinhoud et de Rick Kessels, le voyage donne naissance à une série de toiles conviant énigme et lyrisme au sein d’une même réflexion. Fasciné par la chute du manteau des derviches tourneurs, il synthétise rythme et improvisation pour aboutir à la libération du geste.
Pendant l’été 58, Serge Vandercam reçoit une commande publicitaire pour une entreprise de textile : photographier une linaigrette. Cette fleur qui ne pousse que sur les sols tourbeux devient prétexte à une aventure poétique placée au cœur de la Fange. Au rituel turc répond une affirmation graphique qui cherche dans la matière de nouvelles structures. Vandercam revient à Bruxelles marqué de ce souvenir primitif. Le dessin apparaît à présent comme une dérive onirique permettant de ranimer ses visions originelles. L’homme joue sur les effets de textures et les nuances de lumières. Cette première série appelée Fagnes débouche sur un autre terrain d’expérimentation : la série des Coupe-feu. Ce thème offre à l’artiste la possibilité de représenter le foisonnement de la forêt, les arbres calcinés, la violence du feu. En ce sens, Serge Vandercam trouve en Christian Dotremont un allié avec qui prolonger l’expérience de la Fange. D’emblée, Boues et Bouologismes vibrent au rythme de leurs sessions artistiques.
L’année 1958 est riche en production artistique. Au chaos dévoilé par l’univers des Fagnes répondent d’autres collaborations : les peintures partagées. Vandercam montre qu’il ne se limite pas aux interactions entretenues avec Dotremont. Comme développé précédemment, l’artiste s’implique et crée des relations décisives. Que ce soit dans le milieu surréaliste, dans Cobra ou dans le centre névralgique Taptoe. L’émergence de ces peintures correspond à un décloisonnement des disciplines. Avec Taptoe, il s’était rapproché d’une avant-garde littéraire. A présent, ses créations deviennent une pensée en action. Aux contacts de poètes, Vandercam trouve le moyen d’exprimer sa colère par l’éclatement du mot et la violence du geste. Dans ce dessein, Jean Dypréau sera un allié substantiel.
La période qui s’étend de 1959 à 1964 manifeste le passage à un nouveau moyen d’expression : la pratique de la céramique. Vandercam transite d’un médium à un autre. La photographie, avait offert à Vandercam un vocabulaire que l’on retrouve abondamment dans ses productions picturales, comme le surgissement des formes, la superposition de surfaces, l’importance de la lumière ou l’organicité de son approche. Ce débordement des pratiques artistiques est propice à de nouvelles expériences. La sensation de matière qu’il transcrit sur ses toiles ou dans l’imaginaire poétique des Fagnes est poussée à son paroxysme. En Italie, Vandercam ne fait plus de détour. Au contact de nombreux artistes, il franchit un cap, empoigne la matière et découvre des techniques qui tout au long de sa carrière, trouveront résonnance. Il continue l’expérience des Fagnes et réalise une série de céramiques émaillées, bleues, rouges, vertes ou multicolores ; ces pièces dépassent l’ornement et la figuration. Il ne retranscrit pas un bestiaire fantastique mais une œuvre déstructurée et agitée. Polyvalentes, ses céramiques laissent apparaître la violence qu’elles ont vécue. Torturées, les formes présentent des lacunes, des trous béants. L’artiste invite à plonger dans les profondeurs de l’argile pour y absoudre ses visions.
La série La mer et les racines est le fruit des itinérances de Vandercam. Lors de ses promenades sur la plage d’Albisola, l’artiste ramasse des éléments organiques, des branches et des racines. Interpellé par leur forme, il les ramène à son atelier pour en faire des outils. Le pinceau est rejeté pour laisser place à un amoncellement de branches souples. Une fois assemblées, celles-ci permettent une projection ample et énergique de la matière picturale. Ecrasée contre le support, la pâte crée un réseau de ligne, de taches et de points qui renvoient à un imaginaire poétique. Serge Vandercam renouvellera la pratique à de nombreuses reprises mais n’en fera jamais un procédé. Dès le début, La mer et les racines s’affirme tant en peinture qu’en céramique. L’homme atteste cette première interaction et attribue un nom commun à ces travaux. Qu’elles proviennent de la terre, qu’elles soient racines ou qu’elles s’étendent sur la toile, toutes appartiennent au même corpus. Elle se complètent et créent un dialogue, une interaction.
En 1962, alors que l’artiste touche le point culminant de sa pratique informelle, Asger Jorn lui propose un travail pour un industriel danois. L’artiste accepte et accompagné de Toyo Fuku et Enrico Castelliani, il se rend au Danemark. Lors d’une visite du musée de Silkeborg, Vandercam se retrouve face à ce qui le bouleversera jusqu’à la fin de sa vie : le cadavre exhumé de l’Homme de Tollund. Suite à cette vision, Vandercam met en branle un univers poétique qui résonne à travers différents supports : « Courbé il attend que justice soit rendue à ce qu’il fut ». Cette justice, Vandercam la rendra dès son retour à Albisola. L’artiste se met à transposer ses visions en peinture, en céramique et plus tard, nous le verrons, par l’association de papiers superposés. A l’image de La mer et les racines, il confère différentes interactions à son thème. La mort apparaît dans son œuvre et décalque une angoisse. Il ne représente pas l’Homme de Tollund mais le figure. Il n’est pas une image reproduite mais un souvenir ranimé.
L’artiste évolue entre l’Italie et la Belgique. Lorsqu’il est à Bruxelles, il prolonge l’expérience des entrelacs chromatiques de La mer et les racines avec Hugo Claus. Ensemble, ils s’immergent dans une nouvelle série : Le Radeau de la Méduse(fig). Sous les projections monochromes, un léger lavis se dévoile ainsi que de nombreuses figures humaines. Vandercam est revenu à la forme. L’Homme de Tollund l’obsède encore et il l’exprime au poète flamand. D’emblée, celui-ci est intégré dans l’univers des tourbières du Jutland et témoigne avec force de ce sacrifice. Marqué par ces visions originelles et primitives, Claus écrit un poème qui sert de préface au catalogue de l’exposition De Man van Tollund. L’événement, qui prit place à la galerie Delta de Rotterdam en 1963, dévoile la manière dont Vandercam retranscrit ces visions primitives. Grâce à sa rencontre avec le cadavre du Jutland, l’écorché vif s’ouvre sur un univers varié qui laisse place libre à une flopée d’êtres tourmentés. Décloisonnés, ceux-ci expriment leurs angoisses tant en peinture qu’en céramique. Ils se complètent et interagissent à l’infini. L’étude de ces interactions sera dévoilée dans un prochain chapitre.
Après quatre années en Italie, alors qu’il commence à jouir d’une visibilité artistique, Serge Vandercam prend la décision de retourner définitivement en Belgique. En charge de sa mère et afin de s’occuper au mieux d’elle, l’homme achète une maison dans le brabant wallon. Dans cette maison à Bierges, l’artiste se crée un atelier. Jusqu’à la fin de sa vie, celui-ci sera un lieu de recherche. De nombreuses œuvres en sortiront dont une série éponyme : Les Ateliers.L’apparition de la figuration dans son œuvre allait bientôt toucher son point culminant. Mais avant cela, le visage humain s’affirme et passe d’une forme angoissée au spectre de ses visions enfouies. Le cadavre de L’Homme de Tollund avait offert, quelques années plus tôt, un vocabulaire mortuaire et torturé que l’on retrouve abondamment des ses peintures.
A ces dérives répondent de nouvelles expérimentations. Vandercam offre des personnages latents. Du fond de l’atelier, ces êtres fixent qui les remarques. La perspective s’introduit et propose un théâtre animé. Devenus fantomatiques, les créatures se multiplient et prennent possession de l’espace. Vandercam n’est plus seul. La sculpture dans l’atelier, œuvre de 1970 présente de nombreux êtres chimériques. Certains sont confondus sur les parois de l’atelier, d’autres émergent de la matière sous les allures de Femme brûlée. Autant de visions qui obsèdent l’artiste. Un vocabulaire se met en place : les bras tendus, les figures larmoyantes, les êtres lumineux, les gueules ouvertes, la déformation des corps ou encore, la déchirure des formes.
Pendant plus de dix années, Mirko Orlandini sera le complice de Vandercam. A l’instar des potiers de la fabrique San Giorgio d’Albisola, il réalise pour lui, de nombreux points de départ permettant la mise en forme de ce bestiaire. Par exemple, il contribue en 1971, à la naissance de formes employées pour Ethnographie. Une série de travaux relevant d’une interaction entretenue par Serge Vandercam et le poète Jacques Meuris.
Au terme de ses travaux figuratifs, l’Oizal devient synonyme de rupture. Un nouveau passage qui, à l’instar des créatures fantomatiques de l’atelier, obsède la pratique artistique de Vandercam. Oizal sur fond jaune présente cet être chimérique aux côtés des créatures fantomatiques. Affranchi de l’espace pictural, le bestiaire se décloisonne et prend possession de l’espace. Une céramique émaillée de 1968 transcrit cette revendication en affirmant le dessein poétique de la forme. Un ailleurs exprimé par le mythe. Ces Oizals, s’apparentent aux prémices d’une expression angoissée. Ils traduisent le chant des oiseaux.
En 1977, il réalise ses premières sculptures en pierre. Le mou laisse place au dur et offre un nouveau souffle à l’imaginaire matiériste de l’artiste, un thème affirmé sous les auspices du bélier.
Cinq années plus tard, Thérèse Lebrun remplace Mirko Orlandini. Elève de ce dernier, elle se rend avec son matériel dans l’atelier de Bierges et prolonge au terme de nombreuses séances, l’enseignement de son mentor. Vandercam lui demande de réaliser la base de ses détournements, des pots tournés. Afin de réaliser une interaction précise entre son œuvre picturale et ses céramiques, l’artiste lui fait visiter son univers artistique. Il lui montre les Oizals, les spectres de L’Atelier mais également les travaux d’Albisola et L’Homme de Tollund. Marquées par ces visions, la céramiste répète son mouvement, elle connaît l’attente de l’artiste.
A de nombreuses reprises Vandercam s’implique dans l’avant-garde littéraire belge. Comme développé précédemment, il participe et porte une contribution importante à la revue Phantomas. Au sein de celle-ci, il noue des contacts privilégiés, il s’entoure d’une élite artistique confirmée. Il entretient un réseau de correspondance et d’entrevue avec ses proches. Bierges devient un lieu de passage. Un espace où la création artistique s’associe aux vieilles amitiés. Joseph Noiret, Virtus Shade, François Jacqmin, Hugo Claus, Ernest Van Buynder, Marcel et Gabriel Picqueray lui rendent visite et créent un dialogue. Très vite, ils sont intégrés dans l’univers de l’artiste. En plus des interactions entre peinture et céramique, la plume de ses amis apparaît comme une alliée permettant de capter son univers. Après Will Grohman, Philippe d’Arschot, André Blavier, Jean Dypréau, Jan Walravens, Jacques Meuris, Joseph Noiret et Max Loreau, c’est François Jacqmin qui s’exprime. Armé d’une prose intense, il revient sur le travail de l’artiste. Amis depuis le début de l’aventure Phantomas, le poète frappe par la finesse de ses mots.
Au même moment, un projet de commande apparaît. La décoration de la station de métro bruxelloise Joséphine-Charlotte. Accompagné de Joseph Noiret, la forme se détache de tout angoisse latente. Apaisée, elle fait place forte au lyrisme du poète et inscrit le doux envol d’un oiseau : La Fleur unique – Les Oiseaux émerveillés. Le mot rejoint l’image pour offrir une fresque aux tons adoucis.
En 1990, Hugo Claus dédie un poème à Serge Vandercam : De Man van Tollund. Avec ce texte, il ranime le souvenir des anciennes collaborations. Dès lors, l’année suivante, une exposition éponyme se tient à la galerie De Zwarte Panter. Dans la foulée, l’artiste produit une série d’œuvres reprenant pour thème la victime du Jutland. Au même moment, Vandercam propose à Hugo Claus, de partager l’expérience de la céramique. Dans ce dessein, le poète n’agit pas comme les autres, il ne pose pas ses aphorismes mais les incises. Il les grave dans la matière, à l’instar des Boues de 1958-1959. Claus creuse dans la pâte encore fraiche. Voor mijn ogen et Tover je jaren als nooit tevoren sont le résultat de ces séances à quatre mains.
Huit années plus tard, Serge Vandercam est convié en tant qu’artiste plasticien à rejoindre une délégation de la communauté française de Belgique au près de l’alliance française de Pecs en Hongrie. Sur place, il fait la rencontre d’Antoni Hendrix et Pieter Leemans, deux amis possédant une usine de céramique. Immédiatement, l’envie de réaliser une collaboration artistique met en branle une imagerie poétique. Situé à flanc de colline, le lieu répond à un chaos primitif, une violence organique. De retour en Belgique, l’artiste est imprégné de cette mémoire. Les paysages hongrois l’obsèdent et il décide d’entreprendre un nouveau voyage afin d’exprimer la force de ses visions. Quelques mois plus tard, accompagné de la Belgian connection, un groupe rassemblant Hugo Martin, Antoni Hendrix et Pieter Leemans, l’artiste aboutit à un projet collectif. Une dérive artistique placée sous l’auspice de la céramique, les Terra Ungheria.
En 2003, l’artiste revient en Italie. De par son œuvre, il jouit d’une reconnaissance importante et devient citoyen d’honneur de la ville d’Albisola. Lors de cette dernière visite, Serge Vandercam produit énormément. Malgré son âge, presque quatre-vingt ans, l’énergie qui l’anime lui permet d’entreprendre des séances de plus de dix heures, il acquiert une seconde jeunesse et surprend par son efficience. Le procédé reste le même qu’en 1960. Plusieurs artisans tourneurs réalisent des pots, des assiettes et des objets usuels que l’artiste détourne et prend comme point de départ à ses rêveries. Il profite également des richesses chromatiques présentent dans l’atelier. A l’exemple des productions des années soixante où des céramiques de Pecs, Vandercam franchit les limites de la pratique. Aux pots et assiettes traditionnelles, il inflige sa rêverie, projette l’ensemble de ses visions et s’entoure d’une légion fantastique. Sous l’euphorie de cette frénésie créatrice, un quatrième voyage s’organise pour l’année 2004. Mais souffrant, l’artiste ne sera plus en état de s’y rendre. Il ne vainquera ses maux qu’en touchant ses paysages intérieurs. Lorsqu’il retournera près de celle qui l’obséda pendant toute ces années : la matière.
Texte : Anthony Spiegeler
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