Zoran Mušič
Zoran Mušič, né le 12 février 1909 à Bukovica, hameau de Gorica (Gorizia), ville aujourd’hui traversée par la frontière italo–slovène et qui fait alors partie de l’empire austro-hongrois, et mort le 25 mai 2005 à Venise.
Le père de Zoran (prénom signifiant « naissance du jour ») Anton Mušič, originaire de Šmartno (commune de Brda), est directeur de l’école de Bukovica à Gorica (« petite colline »), au pied du plateau du Karst et sa mère, native de Lig pri Kostanjevici, (commune de Kanal ob Soči), institutrice. Ses grands-parents sont vignerons, dans la région deBrda (« Collio »), à la frontière italienne. Certains membres de sa famille sont d’origine italienne, « ce qui fait que nous parlions les deux langues, slovène et italienne, à la maison », confiera-t-il. L’été, ses parents se rendent régulièrement chez une sœur de sa mère à Koper (« Capodistria ») ou chez ses oncles à Trieste. En 1914, tandis que son père est envoyé en Galicie, il est évacué, Gorica se trouvant sur le front de guerre et la maison natale « à deux cents mètres de la frontière », avec sa mère et son frère à l’intérieur de la Slovénie, en Styrie dans le village d’Arnače. Démobilisé en 1918, son père est envoyé comme instituteur à Brda, puis muté en 1919, parce qu’il est slovène, enCarinthie à Griffen (« Grebinj ») dont Zoran Mušič fréquente le lycée, poursuivant ses études en allemand et les terminant, en slovène, à Maribor en 1928.
Souhaitant devenir professeur de dessin, Zoran Mušič s’inscrit en 1930 à l’Académie des Beaux-Arts de Zagreb où son professeur est Ljubo Babić, et rencontre les œuvres des peintres slovènes Ivan Grohar, Matija Jama et Rihard Jakopič mais aussi de George Grosz ou Otto Dix. Il fait en 1932 des voyages en Europe centrale, à Vienne (Autriche), découvrant les œuvres des peintres viennois (Klimt, Schiele, Kokoschka) et allemands (Corinth, Dix, Beckmann), ainsi qu’à Prague où il rencontre la peinture impressionniste, Picasso, Kandinsky, Vlaminck, Derain, André Lhote, Othon Friesz, Laprade, Mondrian, Bonnard. Sur les conseils de Babić, à la fin de ses études, il se rend au printemps 1935 en Espagne, à Madrid et Tolède, étudie et copie des peintures du Greco, de Velázquez et surtout de Goya (La Maja vestida), dont les «peintures noires» le marquent profondément. Les paysages désertiques de la Castille font resurgir en lui les souvenirs de son enfance. En septembre 1935, au début de la guerre civile, Mušič quitte l’Espagne pour Maribor. Il publie alors son premier texte, Po Spaniji dans Umetnost, revue estudiantine de Ljubljana. Durant six mois il fait en 1936 son service militaire à Bileća en tant que citoyen yougoslave. Chaque été il s’installe à Korčula. Il présente des expositions personnelles et participe à des expositions collectives à Belgrade, Maribor, à Zagreb avec Babić, et à Ljubljana. L’Italie ayant occupé en 1941 la Dalmatie et la Slovénie, Mušič regagne en 1942 Gorizia, accueilli par ses cousins. Il réalise alors des peintures murales dans les églises de Drežnica, Grahovo et Gradno. En octobre 1943 il effectue un premier séjour à Venise, recevant «le choc», dira-t-il2, des mosaïques byzantines et des primitifs italiens. Il y expose des Motifs dalmates ainsi que des visions de Venise et fait la connaissance du peintre Guido Cadorin.
Arrêté en 1944 par la Gestapo, Mušič est emprisonné à Trieste pendant vingt-six jours, dans un cachot complètement obscur où il ne peut ni se tenir debout ni s’allonger, avec de l’eau jusqu’aux chevilles. On le soupçonne de collusions avec les milieux résistants de Trieste, où ses compatriotes combattent clandestinement l’occupation fasciste de la Slovénie et de la Dalmatie, et les réseaux britanniques, auxquels appartiennent certains de ses amis. Après interrogatoires musclés la méprise apparaît. On lui laisse le choix : collaborer comme officier dans le corps étranger de la Waffen-SS ou partir pour le camp de concentration de Dachau. Il choisit la seconde solution et y devient en novembre 1944 le prisonnier n° 128231. Employé dans un atelier d’architecture pour quelques jours, puis dans une usine souterraine d’armement avec son ami Ivo Gregorc, il y est ensuite transféré à l’infirmerie où il échappe à l’épidémie de typhus qui ravage les derniers survivants. Parvenant à se procurer du papier, en arrachant les feuilles de garde des livres de la bibliothèque du camp, et de l’encre qu’il dilue pour la faire durer plus longtemps, utilisant aussi le crayon et la craie, il parvient à réaliser en cachette quelque deux cents dessins de ses compagnons mourants ou morts, qui ont une forte valeur de témoignage, la plupart datant de mai 1945. Une soixantaine seulement pourra être conservée après-guerre, la plupart ayant brûlé dans leurs cachettes lors de la destruction de l’usine. Son œuvre ultérieure sera fortement marquée par les atrocités qu’il voit et subit alors.
Après la libération du camp par les Américains, en avril 1945, Mušič est évacué en juin, épuisé et malade, vers l’hôpital de Ljubljana. Il s’en échappe, caché dans un camion transportant des journaux, pour ne pas être arrêté par les agents du régime de Tito qui le critiquent pour ne pas avoir rejoint le Parti pendant son emprisonnement à Dachau. Ils « ont voulu m’envoyer dans les mines de charbon; pour eux j’étais un prisonnier, un délinquant politique »3. Après un bref séjour dans sa famille il rejoint Venise en octobre 1945 où Ida Cadorin lui prête son atelier. Il y développe librement les thèmes, paysages dalmatiens, femmes et ânes allant aux marchés, qu’il avait abordés avant sa déportation, se lie avec le peintre Massimo Campigli, reçoit dans son atelier Oskar Kokoschka, Mark Tobey, l’écrivain Carson McCullers, et fait en Toscane un voyage qui sera la source de ses Paysages de Sienne et d’Ombrie. En 1948, ayant besoin à Gorizia de documents en vue de son mariage, qui se fera en septembre 1949, avec Ida Cadorin Barbarigo, il est consigné dans l’hôpital pour s’être soustrait à ses obligations militaires en tant que citoyen italien et réformé mais condamné plus tard par le tribunal militaire de Padoue à sept mois de prison avec sursis. C’est durant ces années que Mušič réalise ses premières gravures, pointes sèches et eaux fortes (1947) et lithographies (1948).
En 1951 le «prix Paris» organisé à Cortina d’Ampezzo par le Centre culturel italien de Paris, sur l’initiative de Campigli, Severini), et dont le jury est composé d’artistes et de critiques (Jacques Villon, Ossip Zadkine, Marcel Arland, Jean Bouret, André Chastel, Frank Elgar), décerne son prix de peinture (une exposition personnelle à la Galerie de France) à Mušič et Antonio Corpora. En 1952, Myriam Prévot et Gildo Caputo organisent ainsi la première exposition de Mušič à Paris, lui offrent un contrat qui lui permet de vivre entre Venise et Paris, exposant régulièrement son travail en 1953, 1956, 1958 (vernissage le 13 mai 1958), 1960, 1964, 1967, 1970, 1978 et 1981. Il participe pour la première fois au Salon de Mai en 1953 et travaille rue du Saint-Gotthard dans un atelier que lui laisse Brassaï, précédemment occupé par Soutine qui y aurait peint son «Boeuf écorché». En 1955 il participe à la biennale de gravure de Ljubljana et à la première Documenta de Kassel. Après deux nouveaux séjours en 1956 et 1957 en Dalmatie, la série de ses Terres dalmates, Terres d’Istrie et Terres adriatiques le rapproche de la non figuration de ses amis de la nouvelle École de Paris auprès de qui il participe aux grandes expositions internationales. Il reçoit en 1956 le grand prix de gravure à la Biennale de Venise, en 1957 le prix de gravure à la deuxième exposition internationale de gravure de Ljubljana et expose en 1958 au Salon des Réalités Nouvelles. En 1959, Mušič s’installe dans l’atelier qu’occupait, rue des Vignes, son ami Gischia et commence en 1961 à dessiner à Cortina d’Ampezzo, dans les Dolomites, où il séjourne désormais chaque été.
Une nouvelle série d’œuvres, de 1970 à 1976, intitulée Nous ne sommes pas les derniers, ramène Mušič à la période tragique qu’il a traversée à Dachau. Les peintures et gravures de ce cycle sont parsemées de montagnes de cadavres qui font écho aux multiples exactions qui accompagnent, notamment, la décolonisation et la montée du totalitarisme communiste. En 1972 Jacques Lassaigne consacre à Mušič la première rétrospective d’un peintre vivant au Musée d’art moderne de la ville de Paris. De nombreuses autres expositions rétrospectives sont organisées, dans des galeries ou des musées, notamment en Allemagne (Darmstadt, 1977), en Autriche (Salzbourg, 1985, Vienne, 1992), en Espagne (Madrid, 1974; Valence, 1994), en Italie (Milan, 1974; Venise, 1974, 1980,1981, 1985; Ferrare, 1978; Parme, 1987; Trieste, 1984; Turin,
1987), en Norvège (Oslo, 1978) et en Suisse (Bâle, 1977; Zurich, 1994). Mušič peint par la suite les chênes- lièges de la forêt des Maures (Var), qui sont à l’origine de ses Motifs végétaux, puis la forêt de Fontainebleau et les Paysages rocheux des Dolomites. À partir des années 1980, il s’engage dans de nouvelles séries de visions de Venise. François Mitterrand descend volontiers chez Zoran Mušič et Ida Barbarigo lorsqu’il fréquente la cité des Doges (ils sont ses « plus chers amis vénitiens »,4) et passe avec eux son avant-dernier Noël. Ils reçoivent d’autres amis, notamment Édouard Pignon, Zoran Kržišnik et France Mihelič, mais Mušič aime passer de longues heures solitaires.
Alors que sa vision ne cesse de s’affaiblir, les Galeries nationales françaises du Grand Palais consacrent à Mušič une grande exposition en 1995, inaugurée par le président Mitterrand et le président de la Slovénie Milan Kučan. Une exposition permanente de ses œuvres se trouve au château de Dobrovo à Brda en Slovénie. Des peintures, dessins et gravures de Mušič figurent dans les plus grands musées d’Allemagne, de Croatie, du Canada, d’Espagne, des États-Unis, de France, d’Italie, du Mexique, de Slovénie et de Suisse.